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Barbara Carlotti

revisite Ô-Corse-île-d'amour

Une fille marche au bord de la nationale. Elle avance d’un pas rapide, longeant la rambarde qui étire son virage au-dessus de la vallée. Derrière la ligne des montagnes, une paillette de soleil infuse le ciel rose. L’éveil des oiseaux monte du ravin. La fille ralentit, s’arrête. A chaque oreille elle porte une étoile surmontée d’une pleine lune. L’éclat de son visage malgré la nuit blanche, ce n’est pas dû au maquillage ni même à l’aurore. C’est qu’elle a quatorze ans. Fourteen, (Quatorze ans), c’est le titre du court métrage qui tourne en ce moment sur le net et dans les festivals, réalisé par Barbara Carlotti. Cette mini comédie musicale autobiographique raconte l’été 88, l’été des quatorze ans à Venaco. On y croise une grande sœur et une cousine, un DJ inspiré, deux bad boys, une mazzera très cool et un lever de soleil. Récit sans prétention, mais récit des origines tout de même, car c’est en vacances en Corse que l’auteure-compositrice-interprète a découvert la musique, entre bals du village dansant au son des rocks et des tangos et la boîte de nuit locale qui passait des groupes underground – Joy Division, les Résidents, les Comateens, comme quoi le night-club de Venaco en 88, c’était the place to be. Mélange des genres musicaux, mélange des classes sociales dans le public, « je n’aurais pas ce goût de la diversité si j’étais restée en banlieue », affirme-t-elle.

En effet, si son sixième album est intitulé Corse Ile d’amour, la Corse n’est pas le pays où Barbara a vu le jour. Elle est de Clamart. Pour ceux qui ne connaissent pas la banlieue parisienne, Clamart c’est entre Vanves et Meudon, c’est tout ce qu’il y a de bien mais enfin ce n’est pas là qu’une jeune fille de 14 ans risquait de découvrir Joy Division. Que voulez-vous, tout le monde ne peut pas naître à Poggio di Venaco, comme son père et son grand père. Mais dès que l’on remonte dans l’arbre généalogique, on retombe sur l’inévitable histoire de la diaspora corse. Dans la variante de la famille Carlotti, du Vietnam à la Côte d’Ivoire le grand voyage se termine à Clamart.

Fourteen ne raconte pas seulement l’instant magique où l’enfant vire à l’adulte, mais le moment où l’enfant vire à l’artiste. Reste à l’adolescente pétrie de poésie qui écrit ses chansons, joue du piano et de la guitare, à construire sa vie de musicienne. Études de médiation culturelle à l’Université pour rassurer les parents. Rétropédalage en musicologie avec un passage par le Conservatoire où elle découverte les capacités de sa voix de mezzo dans une classe de chant lyrique, s’émerveille de Monteverdi et de musique baroque, fréquente les musiciens de la classe de jazz d’à côté puis finalement s’entend dire « qu’elle a commencé trop tard ». On ne peut pas leur en vouloir : ils ne savaient pas qu’elle a commencé à quatorze ans. Pour gagner sa vie elle se fait femme de ménage, puis devient agent artistique de jeunes jazzeux diplômés. Et ça marche si bien pour eux qu’elle n’a plus une minute à elle. En ce début des années 2000 le secteur de l’industrie musicale est à son pic, les styles se décloisonnent, les concerts se multiplient. De temps en temps, les Musiques à Ouïr, un groupe assez barré pour inviter Brigitte Fontaine et jouer du Tino Rossi entre jazz, punk et chanson française, la font monter sur scène comme lead singer. Mais à part le trio, tout le monde la décourage de continuer : « des mecs issus du conservatoire, auprès de qui je n’ai aucune légitimité officielle ». Des commentaires qui ne l’empêchent pas de continuer d’écrire et de composer – car pour elle les mots et la musique ne vont pas l’un sans l’autre - et même de s’enregistrer. Forte de son expérience de marketing musical au service des autres, elle commence à démarcher son premier album auto-produit pour lequel elle décroche des passages radio. Dix-huit mois plus tard, en 2006, elle trouve un label en Angleterre qui sort Les Lys brisés, son premier vrai album.

Le second, Idéal, suit dès 2008. Il réalise la promesse faite à l’adolescente de Venaco, puisque Barbara l’écrit en Corse avec son amoureux guitariste. C’est là que cette passionnée de Baudelaire (elle cite par cœur Correspondances, insistant sur le vers « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent) retrouve le lien à la nature et aspire à un lieu idéal « où vivre de peu de choses » dit-elle presque sérieusement, entre amour et humour, « ivre de vin et de littérature ».

En 14 ans (décidément), elle aura publié six albums. Tout l’inspire. En ce moment, c’est la correspondance amoureuse de Henry Miller et Anaïs Nin, mais cela peut-être un film, une sensation, une image de Nina Simone sur scène, une descente de rivière avec sa sœur Laetitia, le bruit de l’eau, une ombre sur une roche « qui va faire écho à quelque chose que je ressens ». Et aussi la beauté des villes, la brutalité des grands ensembles, des tours. Car si elle admire les dandies du 19ème siècle comme Byron et Oscar Wilde, elle se décrit comme une fille d’aujourd’hui, une citadine qui aime l’art contemporain, entre le béton de Clamart et le granit du Monte Rotondo.

Corse Ile d’amour, qui sort ce mois-ci, vient tout droit de l’enfance, lorsque son père chantait Tes yeux noirs qui me donnent la frousse, tes dents blanches comme la brousse… Sur la K7 de la compil écoutée en famille, Antoine Ciosi reprenait Brunetta et Tony Toga enchaînait avec La Boudeuse. Tout un répertoire décrié par les musiciens du Riacquisitu comme venant du folklore napolitain. « Alors qu’eux-mêmes ont beaucoup emprunté à la musique sud-américaine et au Folk américain. Et pourquoi pas ? La musique c’est toujours une histoire de mélanges, d’influences ». Iggy Pop lui-même n’a-t-il pas repris la musique de Solenzara pour la bande-son d’Arizona Dream ? Barbara Carlotti n’hésite pas à puiser dans ce répertoire vintage et le sort de l’oubli dans lequel les années 70 l’ont relégué. Elle l’étudie, compare les versions, apprend le corse et perfectionne sa prononciation. « Faire ce disque, c’était revenir à ce qui me nourrit ». Et puis brasser le tout dans le grand chaudron de ses affinités musicales avec les Beach Boys, Françoise Hardy, Daho, Higelin, le R&B et la pop. Il en sort son Corse, île d’amour à elle. La vision de la mazzera apparue dans l’aube des quatorze ans est-elle réalisée ? C’est-à-dire que non… à vrai dire il resterait bien quelque chose… comme un vœu… comme un rêve… ce serait de faire, un jour, un duo avec Jacques Dutronc…

Alors monsieur Dutronc, s’il vous plait… pas pour faire plaisir à l’artiste confirmée… mais pour la petite… pour ses quatorze ans.