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Xavier Moni

Président du Syndicat de la librairie française 

Xavier Moni est dans les cartons, comme tous les libraires de France qui en cette rentrée littéraire accueillent 400 nouveautés. On imagine volontiers les libraires comme des gens à lunettes qui passent leur vie à dans les livres. Et c’est vrai, puisque ce sont des commerçants, et qu’à ce titre ils ont le nez dans les livres de compte. Quant à la grande littérature, cela se fait en dehors des heures d’ouverture. Libraire depuis 19 ans, Xavier Moni se présente avant tout comme un chef d’entreprise. « C’est une activité où les fragilités sont structurelles. Il y a très peu de rentabilité, 20% du CA part en salaires et les capacités d'investissement sont basses. Notre modèle économique est fondé sur le service, l'accueil. Le contact avec les clients porte sur les conseils de lecture, les recherches bibliographiques, les prises de commande mais aussi les discussions sur l’état du monde. Cela représente huit à dix heures de présence quotidienne. En back office il faut stocker les livres et gérer les retours, et les représentants des réseaux de distribution qui viennent présenter les prochaines sorties, à raison de 50 représentants par mois. Pour vous donner une idée, une réunion avec un représentant dans le domaine des sciences humaines ou de la littérature dure au moins deux heures. »

En plus de son activité de libraire, Xavier Moni est Président du SNL. Une activité totalement bénévole, particulièrement médiatisée l’an dernier lorsqu’il défendait une batterie de mesures comme le prix unique du livre, menacé par la vente en ligne et les soldeurs, ou encore la remise de 36% que, selon lui, les éditeurs devraient consentir aux libraires, premier réseau de distribution devant les ventes par internet. Sans parler de la question des frais de port, clef de la vente en ligne. « Du côté d'Amazon, le mal est fait. Mais le livre n'est plus leur objectif, il n'est pas assez rentable. Depuis dix ans on répète qu’Amazon va tuer la librairie, or on constate qu'ils n'ont pas tout emporté sur leur passage. La librairie résiste précisément parce que les libraires font autre chose que vendre des livres. Ils occupent des espaces sur des territoires, favorisent des rencontres, ce qui ne les empêche pas de savoir eux aussi vendre en ligne. Quant au livre électronique il n'a pas le même usage. Un livre papier, qu’on le garde pour soi ou qu’on l’offre, ce n’est pas n’importe quel objet. »

Car il est convaincu que la librairie reste un modèle d’avenir sur le plan commercial, et un acteur fondamental pour la diffusion de la culture et l’animation des villes, mais qu’il faut conforter financièrement. En novembre 2019, il est signataire de l’appel Stop Amazon contre le Black Friday. Au printemps 2020, le confinement souligne les fragilités du secteur, mais aussi son dynamisme puisque dès le début mai les lecteurs retrouvent le chemin de leur librairie préférée, tandis que le président du SLF obtient du gouvernement un plan d’aide historique de 82 millions.

Il y a toujours eu un fonds militant en Xavier Moni. Son master de Lettres portait déjà sur les textes de propagande anti fascistes et le théâtre agit-prop de Jacques Prévert. Objecteur de conscience, il a œuvré dans une association de lutte contre l’illettrisme en compensation du service militaire qu’il refusait d’effectuer. C’est peut-être ce qui l’a mené à son premier job d’enseignant dans le primaire. Apprendre à lire aux petits, c’était sans doute une façon de nourrir son amour de la lecture, mais ce n’était pas suffisant. Il lui manquait le contact avec les livres. Étudiant à Paris, il passait son temps chez Gibert à fouiner dans les livres d'occasion. Quand il n'avait pas assez d'argent pour s'acheter le bouquin convoité, il le cachait discrètement dans un rayon inadéquat où personne ne viendrait le chercher, pour être sûr de le retrouver plus tard.

Est-ce pour expier d’avoir sciemment mis le désordre dans les librairies du quartier latin qu’il s’est retrouvé libraire ? Au bout de cinq ans, il comprend qu’il s’est trompé de voie. En association avec sa compagne de l’époque, l’écrivaine Karine Henry, et avec appui de son frère, il ouvre une petite libraire dans le marais, intitulée Comme Un Roman, d’après le roman de Daniel Pennac qui en est le parrain. De librairie de quartier, Comme un Roman est devenue 19 ans plus tard une grande librairie de destination, c’est-à-dire une libraire vers laquelle les acheteurs se rendent intentionnellement, sûrs d’y trouver ou d’y découvrir un livre, ou de rencontrer des auteurs fidèles aux séances de signature comme Pascal Quignard ou Bilal.

Comment ce Corse se retrouve-t-il en plein cœur de Paris ? La famille Moni est originaire de Cervione. Le grand-père, agent aux PTT, est muté en région parisienne au milieu du siècle dernier. Si les grands parents finissent par rentrer à Sant’Andrea di Cotone, la deuxième génération, dont le père de Xavier, reste sur place. Comme pour beaucoup de Corses du continent, la Corse, pour Xavier Moni, c’est une saison et un voyage. L’été, la route en voiture depuis la Seine-et-Marne jusqu’à Toulon ou Marseille, la claque des parfums et des paysages, l’univers de l’enfance au village à Prunetti, la grand-mère qui ne parle pas français et l’oncle Sauveur qui ne le parle qu’aux enfants. Barthes le disait : « Il n’est de pays que de l’enfance ».

C’est là sans doute qu’il a pris le goût de la solitude, du calme et de la lecture. Il y a deux ans, il a consacré l’été à lire tout Simenon, dans l’ordre chronologique de publication pour mieux comprendre la maturation de l’œuvre. Cette année, même chose avec l’intégrale de Giono. Cette relecture des classiques, qui pose le filtre du temps, favorise une prise de distance par rapport à la littérature contemporaine dans laquelle, comme libraire, il est forcément plongé. Selon lui, ce métier ne devrait pas être centré sur la nouveauté, parce que les clients ont envie de lire un bon livre, pas forcément un livre nouveau. « Il faut se battre collectivement sur notre capacité à donner une visibilité plus longue aux livres qu'on a aimés. Aujourd’hui un livre reste au maximum six mois sur les tables des libraires. » Pour lui, la cause en est ce qu’Antoine Gallimard appelle la diversité éditoriale, que Moni rebaptise surproduction. « Les éditeurs sont dans une stratégie de multiplication des livres, comme les pêcheurs multiplient les lignes pour attraper plus de poissons. C'est un problème car les livres qui appartiennent à la littérature du milieu, c'est-à-dire entre les best-sellers et l'édition artisanale, peinent à trouver leur public. »

L'industrie du livre, première institution culturelle en France, représente en valeur 4 milliards d’euros. Les deux dernières décennies ont vu l'univers des fournisseurs évoluer radicalement, avec 95 % du chiffre d'affaires réalisé par 4 acteurs, Hachette, Vivendi, Editis Madrigall (Gallimard) et Médias Dargaud. « Cette concentration induit un rapport de force qui n’est pas en faveur de la librairie, ni des auteurs, ni des petits éditeurs. Des éditeurs comme Sabine Wespieser ou encore Liana Levi sont complètement dépendants de la librairie. » Il s’inquiète de voir la chaîne du livre se distendre, pointe le chaînon fragile entre les auteurs et les éditeurs avec le point d'achoppement des droits d'auteurs en baisse et des auteurs mal rémunérés ; entre les éditeurs et les libraires qui s'écharpent sur la répartition de la marge ; et même entre les auteurs et les libraires sur la question de la rémunération des auteurs lors des signatures en librairie.

Président du SLF depuis trois ans, Xavier Moni s’apprête à rendre son mandat fin septembre - il a toujours dit qu'il n’en ferait qu'un seul. « Il faut renouveler l’institution. En comptant ma charge de vice-président, cela fait quand même dix ans que je suis en poste. »

Ce lecteur passionné ne va pas pour autant se replier égoïstement dans sa bibliothèque. Il envisage déjà de créer un cercle de réflexion hors institution qui permettrait de mieux connaître les préoccupations des uns et des autres dans la chaîne du livre. Il imagine d'autres manières de faire. Présenter des petits éditeurs au même niveau que des best-sellers. Organiser une autre chronologie des sorties, « avec un temps plus long consacré à la littérature, par exemple de mai à septembre quand les lecteurs ont plus de temps pour lire, avec un temps pour la fiction un autre pour les essais ». Une belle manière de tourner la page.