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Pascal Quignard

Un grand écrivain tout simple

Pascal Quignard entre en 2019 dans sa cinquantième année de publication en ayant produit une centaine d'ouvrages. Les trois derniers, qui viennent de paraître presque en même temps, donnent un aperçu de cette œuvre monumentale composée de romans, fragments, essais, relectures de mythes antiques et de fables latines, réécritures de contes, théâtre, performances ; ou plutôt, d'une oeuvre qui a aboli depuis longtemps les frontières de genres édifiées davantage par des pratiques éditoriales que par des décisions d'écriture. Lorsque l'écrivain reçut le prix Goncourt, en 2002, pour l'ensemble des trois premiers volumes de Dernier Royaume, ce choix fut controversé sous prétexte que l'ouvrage n'était pas un roman. De fait Dernier Royaume est hors nomenclature. Il ne se prive d'aucune forme littéraire, pas plus qu'un archéologue ne se priverait a priori d'outils sur un chantier de fouilles. Le chantier en cours, ouvert et illimité de Dernier Royaume, c'est l'énigme qui précède la naissance et succède à la mort.

L'Enfant d'Ingolstadt en est le dixième volume. Inspiré d'un conte de Grimm où s'affrontent une mère cruelle et un enfant indocile, il parle du mensonge comme un des fonctionnements de l'esprit. Dans la falsification qui est à l'œuvre dans la fiction, l'art et les rêves, Pascal Quignard voit des indices de l'indicible qui nous précède et de l'inconnu qui nous suit.

Rien d'étonnant à ce qu'il fasse paraître en même temps Angoisse et beauté, troisième ouvrage de la série des "livres d'orgue noirs", qui empruntent leur format à l'italienne aux anciens livres d'orgue et rappellent que l'écrivain est aussi un musicien, même si en l'occurrence ces ouvrages illustréstraitent de peinture : fresques antiques pour Le Sexe et l'effroi, peinture européenne classique pour La Nuit sexuelle, illustrations du peintre contemporain François de Coninck pour Angoisse et Beauté, chaque volet de ce tryptique cherchant à sa manière à saisir l'image perdue, obscène ou effacée.

Vient de paraître enfin La Vie n'est pas une biographie, où l'auteur oppose à la narration biographique l'émergence de la vie sans causalité, errante comme les rêves. Dans une interview datant de 1985 et paradoxalement devenue virale sur les réseaux sociaux, Marguerite Duras livrait sa prophétie pour l'an 2000 : une société où il n'y aurait plus personne pour lire, où les gens seraient ensevelis sous les informations et les écrans. Et puis, dit-elle, " il restera la mer, quand même, les océans, et puis la lecture. Les gens vont redécouvrir la lecture. Un homme, un jour, lira, et puis tout recommencera." On ne sait pas ce que cet homme lira. Ce seront des choses dans une langue morte qui seront pour lui ce qu'est la poésie latine pour nous. Il les lira et de cette lecture une écriture jaillira. Mais peut-être cet homme n'a-t-il jamais cessé de lire et se trouve-t-il déjà parmi nous.