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Vanessa Bianconi

entrepreneuse

Quand Vanessa Bianconi, fondatrice et dirigeante de la start up Capsul Protect, m'a proposé de la retrouver au SoPi Bistrot, je n'ai pas été étonnée. Le SoPi – comprendre South Pigalle – est en ce moment le quartier le plus branché de Paris. Autrefois, c'était la Seine qui traçait une frontière symbolique entre la rive droite conventionnelle et la rive gauche artiste. Aujourd'hui, vous franchissez les Grands boulevards et vous sentez que c'est là que ça se passe : naguère quartier populaire, dont subsistent l'échoppe d'un plombier ou d'un brocanteur, aujourd'hui nid de hipsters montés sur baskets qui prétendent que Sopi est à Paname ce qu'est Palo Alto à San Francisco et Mezzavia à Ajaccio. Donc je me suis dit, start up, nouvelles technologies, mon interlocutrice sera ingénieure ou école de commerce, ou peut-être médecin, vu la teneur de son projet : un carnet de santé numérique qui contient votre dossier médical complet et une fiche d'urgence, à la fois hautement sécurisé et immédiatement disponible. "Non, je ne suis pas médecin", me dira-t-elle avec humour un peu plus tard, "je suis patiente". Pas ingénieure non plus, ni HEC. Juste Vanessa.

Je pousse la porte du SoPi Bistrot. Elle est déjà là, ponctuelle, professionnelle, un bébé dans les bras, belle comme une Madone à l'ordinateur : portrait idéal de la femme contemporaine qui ne conçoit pas travail et maternage comme des antonymes. Ha ! me dis-je, la pauvrette, d'ici trois mois son teint radieux de jeune mère sera plombé autant que sa start up par les nuits sans sommeil et les jours sans temps libre. Là encore, je me trompe, car Vanessa est bien plus raisonnable que les wonderwomen des années 80 qui croyaient devoir tout faire toutes seules : en effet le patron du restaurant en personne vient la décharger du précieux fardeau. C'est le papa. Le couple s'est organisé, chacun à tour de rôle, pour se consacrer à Carlo Matteo sans sacrifier la vie professionnelle ni de l'un ni de l'autre. Pourtant Mathieu est corse, si si, de Bastia - ce qui explique les cannelloni au bruccio et la coppa sur le menu, et Furtunatu en fond sonore – et de pouponner, il n'en a pas l'air moins viril. Je dirais même qu'il est plus corse que Vanessa, originaire de Sartène par sa grand mère, mais née à Marseille.

Vanessa quitte l'école très jeune. Elle envisage une école d'art, mais premièrement le matériel coûte cher, et deuxièmement elle subit à 15 ans une opération du dos suivie d'une longue rééducation qui raccourcit d'autant ses études. Ce n'est pas grave, elle est patiente. Son tour viendra. Elle se contente d'une école d'apprentissage et commence à travailler pour mettre de l'argent de côté : vendeuse de prêt à porter, serveuse, opératrice de vente sur internet, conseillère clientèle dans un organisme de crédit. où elle apprend à monter des dossiers financiers. Elle se révèle aussi habile à monter des dossiers financiers qu'à manier le fusain et le pinceau. Mais à vingt quatre ans, coup de frein : elle doit se refaire opérer du dos et rester alitée une année entière. Elle choisit de surmonter l'épreuve par une épreuve supplémentaire : un an, c'est juste ce qu'il lui faut pour préparer le bac. Donc toute seule, alitée, en candidate libre, elle se potasse et obtient l'examen. Non pas qu'elle en ait besoin à titre professionnel, mais juste pour se prouver qu'elle en est capable. Au bout d'un an, remise sur pied mais des fourmis dans les jambes, elle voyage. Elle a tant de choses à vérifier, qu'elle a découvertes depuis son lit. Sa curiosité, sa capacité à apprendre, sa facilité à entrer en contact avec les gens ne passent pas inaperçues. Repérée telle un diamant brut par une gemmologue, la voilà embauchée dans une entreprise d'horlogerie de luxe à Aix-en Provence où elle devient elle-même, en l'espace de quatre ans, experte en pierres précieuses. Le plan de carrière raisonnable serait qu'elle reprenne la boutique. Mais cette fille, qui s'est forgé la devise " Pas de formation, pas formatée !" se donne encore le temps - elle n'a pas trente ans, nous sommes en 2012 – de fonder son projet à elle. Consciente des limites de son anglais estampillé Education Nationale, elle décide de se plonger en immersion totale dans le monde anglo-saxon. La voilà qui débarque à Los Angeles. Trois mois plus tard, elle parle couramment anglais et s'est forgé un réseau d'amis. C'est à San Francisco, dans cette ambiance d'énergie créatrice où tout est possible, qu'a lieu le déclic : " Il n'y a pas de mauvaise idée", explique-t-elle, "tout dépend de la mise en œuvre". C'est peut-être justement une idée mal mise en œuvre qui l'inspire : un bracelet médical connecté, qu'elle trouve intéressant, mais insuffisant. Son expérience des cabinets de consultation, des tables d'opération, des parcours de remboursement de soins, lui fournit le point de vue de l'utilisateur qui manque souvent aux gadgets numériques. Elle connaît la difficulté, pour un patient, de récupérer son dossier, de communiquer des informations sur sa pathologie à différents professionnels de santé. Mais il y a aussi les sportifs, les enfants en voyage scolaire, les motards, tous ceux qui peuvent avoir besoin de fournir des renseignements en cas d'urgence. S'il ne s'était agi que d'un gadget, elle n'aurait peut-être pas fait preuve de la même détermination. Elle assure que ce qui la motive, c'est la finalité de l'objet. Elle est fière aujourd'hui d'améliorer le quotidien de tout un chacun, de faciliter le parcours de millions de patients et peut-être même de sauver ne fût-ce qu'une vie.

De retour à Marseille en 2013, elle commence donc à développer la plateforme numérique de Capsul Protect sur la table de la cuisine de sa mère. Elle est conscience de la complexité du dossier. Comme elle n'a ni un profil tech, ni un profil de développeuse, elle s'entoure de deux experts et se réserve quant à elle la stratégie et les finances. Les fonds, ce sont les siens : elle investit toutes ses économies accumulées depuis l'âge de seize ans dans ses premiers jobs. Il faut trois ans pour mettre au point la version bêta de Capsul Protect. Mais Vanessa est plus que patiente : elle est tenace. Entre temps elle a rencontré Mathieu Mousset, un marin qui rêvait de jeter l'ancre sur la rive droite de la Seine et d'y monter son restaurant.

Aujourd'hui, Mathieu fait tourner le SoPi Bistrot tandis que Vanessa a installé Capsul à Station F, le méga incubateur de Start up de la Halle Fressynet. Maintenant, leur projet commun, c'est le retour sur l'île. Ils comptent sur l'ADEC Corsica et sur Qwant Music, qui est installé à Ajaccio et soutient le développement des start-up en Corse. L'avantage de cette nouvelle économie, c'est qu'elle peut se développer partout. Pas besoin de vivre dans la capitale ni même sur le continent pour faire tourner des plateformes numériques. Évidemment, pour un restaurant, c'est différent. Alors c'est un peu dommage pour les parisiens branchés du 9ème arrondissement, et moi qui aime tant les cannelloni au bruccio : je n'ai plus qu'à aller me faire cuire une soupe d'olives. Mais Vanessa et Mathieu en ont décidé ainsi : Carlo Matteo sera élevé en Corse.