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Philippe Costamagna

Dans la peau de Napoléon

 

 

Il y a quelques années, à l’issue d’une exposition dans le Kazakhstan, Philippe Costamagna a accepté l’invitationde ses collègues de finir la semaine par un pique-nique dans les montagnes. Lanappe est dépliée, les ustensiles déballés, le groupe s’installe. Voilà qu’unberger s’approche, commence à discuter et chacun se présente. Un collègue fait l’interprète pour Philippe Costamagna : directeur du Palais Fesch, Ajaccio, Corse. A ces mots, le berger kazakh mime avec ses mains le bicorne de Napoléon. Cette anecdote, Philippe Costamagna la raconte avec malice pour illustrer combien les noms Ajaccio et Corse, qu’on le veuille ou non, sont associés à celui de l’homme le plus connu du monde. Et il sait de quoi il parle, lui qui est en charge du futur musée Napoléon, et qui a convaincu le président Macron lors de sa visite en Corse d’en faire une priorité présidentielle.  

Pourtant Costamagna n’est pas très Napoléon. La Garde impériale, les conquêtes militaires, le décorum de l’Empire,il les regardait d’un peu loin. Jusqu’à ce que son éditeur Charles Dantzig leconvainque d’écrire un livre sur les goûts de Napoléon. Notre historien del’art ne déteste pas le style Empire qui représente un moment de simplicité dans l’histoire des Arts Décoratifs. Et puis c’est l’occasion pour ce puits de science, toujours féru de recherches, de se plonger dans une période qu’il ne maîtrise pas encore aussi bien que le seizième siècle italien. Il ne s’agit pas de refaire une thèse, mais de raconter au public la vie quotidienne dans la peau de Napoléon. Ce que l’Empereur regarde, ce qu’il sent (il est très sensible aux odeurs), ce qu’il déguste (il adore les rougets), les matières et les couleurs dont il aime s’entourer. On savait l’Empereur fou de lecture, amoureux de bibliothèques. On va découvrir, dans Les Goûts de Napoléon, l’admirateurde porcelaine de Sèvres, le collectionneur d’art pas très érudit mais suffisammentavisé pour s’entourer des meilleurs conseillers de l’époque, respectueux de l’architecture des siècles antérieurs et agitateur d’innovation pour ce qui concerne la décoration et le mobilier.   

Le muséeNapoléon, qui ouvrira en 2024 dans la mairie d’Ajaccio, est en fait ledépartement des Collections napoléoniennes du Musée des Beaux-Arts, les deuxautres branches étant le département des Beaux-Arts au Palais Fesch et ledépartement de la peinture corse qui sera accueilli, à terme, au Lazaret. Philippe Costamagna en est le directeur depuis 2006. A cette époque, le musée Fesch ne bénéficiait ni d’un conservateur, ni d’un projet scientifique, ni d’un cabinet d’arts graphiques. Il fallait procéder à d’importants travaux pour aménager les réserves et installer la climatisation nécessaire à la conservation des œuvres. Les Musées de France cherchaient la personne qui allait le piloter. Quelqu’un qui réunisse trois qualités : en premier lieu, un ou une spécialiste de la peinture italienne, puisque la collection léguée par le Cardinal Fesch constitue la seconde plus importante collection française de peintures italiennes après le Louvre. Il fallait aussi quelqu’un de stature internationale, capable de négocier des prêts et des emprunts d’œuvres et dont le réseau serve à accroître la notoriété du musée. Enfin, troisième critère incontournable, le poste était situé à Ajaccio. Philippe Costamagna est un seizièmiste spécialiste de la peinture du centre de l’Italie. Il avait déjà collaboré à un grand nombre d’ouvrages et d’expositions et organisé des colloques. De plus, il est ce qu’on appelle un « œil », comme on dit un « nez » en parfumerie : un expert rare, demandé dans le monde entier pour identifier une œuvre. De son niveau, il n’y en a pas plus de dix. Quant à la Corse, Costamagna y a déjà un pied. Non, il n’est pas corse, le nom est originaire du Piémont - personne n’est parfait. Mais grâce à son ami François Biancarelli, il y a longtemps qu’il connait le pays, il y a même acheté une maison de village qu’il a fait restaurer avec le même soin qu’il aurait exigé pour un Botticelli. Rien d’étonnant de la part d’un historien dont le mot d’ordre est « conserver ». 

Pour la réouverture du musée en2010, il fallut repenser le parcours et la scénographie, notamment avec lacréation de la Galerie du Cardinal où sont mis en avant les chefs-d’œuvre accrochéssur des cimaises repeintes en gris léger. « Le blanc, c’est pour lapeinture contemporaine, pour la peinture ancienne, il n’y a que le gris ». Le rôle du directeur est aussi de favoriser les donations, à l’instar de la collection de dessins et peintures corses, legs de François et Marie Jeanne Ollandini. Enfin, le rayonnement du musée est établi grâce à des expositions remarquables rendues possibles par des échanges avec de grands musées étrangers. En 2011, « Florence au grand siècle », une exposition inédite sur le 17ème florentin. En 2018, « Rencontres à Venise », sur le 17ème siècle vénitien, tel qu’on ne l’a pas vu depuis 1959 à Venise. Programmée en 2020 et reportée à 2022, « La grande Belleza » portera sur la Rome baroque entre 1700 et 1758, période du goût rocaille qui se termine avec la découverte de Pompéi. Là encore, c’est une exposition qui n’a jamais été réalisée ailleurs. Quant aux années impaires de la programmation consacrées aux thèmes napoléoniens, après la Princesse Mathilde en 2019 ce sera le tour de son frère Plonplon, le prince Napoléon, en 2023.  

En 2021, entre son livre et l’exposition Napoléon, légendes au Palais Fesch, PhilippeCostamagna ambitionne de faire découvrir un autre Bonaparte. Selon lui, malgrétout ce qui a été écrit, fouillé et cherché, l’homme illustre jusque chez leberger kazakh est mal connu dans son pays et surtout dans sa ville, où leBonapartisme est associé dès le 19ème siècle au conservatisme. Il voudrait montrer le progressiste, le dépositaire des idées des Lumières, qui savait ne tenir son pouvoir que du peuple. Comme quoi les recherches que Philippe Costamagna a menées sur Napoléon ont effacé les premières images qu’il s’était forgées. C’est le propre d’un homme de culture, qui ne cesse d’apprendre et de transmettre. 

 

Les Goûts de Napoléon, Philippe Costamagna, Éditions Grasset